Je suis à T...Pour le
boulot. Je suis invité à un colloque. Intéressant. Pour le contenu,
mais aussi pour les gens que je vais rencontrer. T ...a une
réputation un peu sulfureuse, de poètes et artistes maudits qui
l'ont fréquentée dans les années 50. Je sais que je n'aurais pas
trop le temps de la visiter , on verra, mais les opportunités de
découvertes et de rencontres sont certaines.
L'hôtel où je suis
hébergé est grand luxe. Il y a deux salles de bain dans ma
chambre, non dans ma suite plutôt. Mon lit est plus large que long.
Il est moelleux, confortable. Il y a deux télés aussi, au cas où
je veuille voir deux programmes en même temps, depuis mon lit , ou
depuis mon petit salon d'accueil. Vue sur la mer. Je coupe la clim.
Je dormirais avec le bruit des vagues.
Je descends dans la salle
à manger. Pour le dîner. En entrant, je le vois immédiatement.
Visage sec et anguleux,
mais emprunt d'une sérenité, d'une force intérieure, d'une
détermination forte. Le teint mat, les yeux noirs. Des cheveux
courts, taillés au cordeau, ras sur le côté et derrière, des
mèches en arrière sur le haut du crane. Noir de jais. Brillants. Il
a néanmoins un air préoccupé. Il n'est pas chez lui, ne connait
personne, et aimerait bien de la compagnie.
Je suis alpagué par une
collègue qui m'embarque à dîner. Je n'ose demander si elle le
connait.
Le lendemain, je me
retrouve dans un groupe de travail avec lui. Il prends la parole à
la fin. C'est déterminé, calme et tranquille, percutant, construit.
A l'image du physique. Je vais le voir à la fin pour lui demander
des détails. On discute longuement. On se dirige lentement vers la
terrasse. On prend un verre . On s'assoit. Mais il ne se relâche pas.
Il reste collé à la discussion boulot. J'essaye d'ouvrir sur T...et
ses poètes maudits. Il n'accroche pas. Ce n'est pas son truc
apparemment. Plus près de moi, je le dévisage, le scrute avec
attention. Il doit être musclé, mais il n'est pas gros. Tout en
muscle, peut-être un danseur? En tous les cas , il a la corpulence
d'un danseur. Tout ce que j'aime.
On est interrompu par un
collègue , habitant de T... qui nous propose de nous emmener faire
un tour, avant ou après le diner. Il veut d'abord diner, assurer au
moins ça, au cas où on ne trouverait pas en ville. Il est angoissé,
ce garçon, c'est pas possible. Je le laisse donc à son diner, et
file à T...
T..est bordélique,
attachante, biscornue, désorganisée, ancienne, moderne,
grouillante, odorante...T me plait. Même si elle semble à
l'antipode de ce bel homme à l'apparence stricte.Le collègue doit
revenir à l'hôtel, je reviens avec lui, débarque dans le
restaurant, où tout le monde termine de diner.
Il est là, il ne m'a
pas vu, il discute avec du monde.
Je laisse tomber et vais
dormir.
Mais je me fais prendre
au piège de la télé. De Ruquier. De Drucker qui parle de sa
carrière et que je trouve intéressant pour la première fois de ma
vie. J'admire la sociologue qui écrit sur les riches. Je l'avais
déjà vu et entendu par le passé. Décapante.Si juste sur cette si
« belle » et si violente organisation des riches et des
puissants pour rester là où ils sont et faire en sorte qu'on ne
prenne pas leur place. Et puis , je navigue sur internet. Personne
sur les réseaux. Je repense à l'homme de la journée. On l'appellera
L...
Et allongé sur le lit,
je m'endors.
Je me rhabille. Je
descends sur la terrasse. Il y a quelques personnes assises sur des
tables dispersées Je m'assois à l'une. J'attends. Je prends un
verre.
Le ciel est étoilé, il
fait bon. Je l'admire.
« je peux tenir
compagnie? »
Je me retourne, étonné,
sorti de ma rêverie. Il est là. Souriant. Détendu. Ouvert. Sa
retenue, sa préoccupation ont disparu.
« Bien sûr ».
Il s'assoit, commande un verre. Nous discutons du colloque, du
boulot, je lui raconte T..on évoque la taille de nos chambres. On
reprend un verre. Il se fait tard. Les serveurs nous font sentir
qu'ils veulent terminer leur service. On décide de lever le camp. On
monte dans nos chambres. Je me dis qu'il faut tenter un truc. Dans
l'ascenseur, peut-être? On se rend compte que nos chambres sont
voisines. « Tu me fais voir la tienne, voir laquelle des
deux est la plus grande »(d'ailleurs ,de quoi parle-t-on
finalement?la plus grande quoi?) je m'entends lui dire. « Sans
problème, mais tu me dois me montrer la tienne alors? » Sa
chambre est identique à la mienne. Je lui montre la mienne. Il
s'extasie un peu bêtement.
Un bruit de porte qui
claque. C'est la sienne. « Mince, ma clé est dedans »...on
éclate de rire. «Passe par le balcon? » mais, ca
semble trop dangereux. « j'appelle la réception lui
dis-je ». Et puis, je le regarde. Lui aussi, me regarde. Et
là, il s'approche, m'embrasse délicatement sur les lèvres, et
encouragé par mon tressaillement, se met à me rouler une pelle
phénoménale. Nos mains s'enserrent autour de nos corps. Passent
sous les chemises. Viennent fouiller plus loin. On tombe sur mon lit,
plus large que long donc. Nos souffles s'échauffent. On se retrouve
vite à poil.La suite? Vous devinez...
Le matin, je me réveille
. Personne à côté de moi. Je l'appelle. Rien. Je me lève.
Inspecte la salle de bain, le petit salon à côté. Vide. Ses
vêtements ne sont plus là non plus. Il a dû descendre.
Je m'habille en vitesse.
Je sors de ma chambre. La porte de sa chambre s'ouvre.
Une femme en sort. Elle
me fait un bonjour poli. Je ne comprends pas trop.
Je descends dans la salle
du petit déjeuner.
Il est là, calme et
serein, toujours très retenu. Tout de blanc vêtu, tel un ange terrestre, dont je connais très bien le sexe.
« Bien dormi? »
me fait-il « je serais bien allé avec toi à T... hier
soir, mais tu avais disparu » rajoute-il...Là, les bras
m'en tombent... « mais, on a peut-être fait mieux en
fait cette nuit , non? » lui dis-je...il me regarde d'un
air très étonné, il ne comprends pas... « tu ne te
souviens pas? » « Quoi, si on avait été voir les
filles, je m'en souviendrais », hasarde-t-il sur un
ton mi-boutade, mi courroucé..
Tout d'un coup, je
réalise que...endormi sur mon lit, mon esprit à divagué, rêvé ,
parti là où je voulais, mais qui n'est resté que de l'ordre du
fantasme, du désir inassouvi......j'ai mélangé rêve et réalité...
Je ne sais que lui
dire...je bredouille...et je lance un idiot « mais j'y
suis allé avant le dîner, ça ne vaut pas le coup, et mieux valait
dormir ».....
« ah???
…....pourtant R... avait l'air de dire que ça t'avait
plu...dommage, on aurait pu prendre un pot ensemble » me
lance-t-il avec un petit sourire malicieux en coin....
J'en ai un peu marre de
tous ces moments de désirs, jamais inassouvis, de ces regards
croisés, souvent très prometteurs, mais qui n'aboutissent qu'à du
vent, qu'à une brise vaguement érotique et sensuelle. Comment
arriver à déterminer chez l'autre qu'il cherche la même chose que
toi? Quel signe je dois lancer pour qu'il comprenne s'il aime les
hommes, et qui reste incompréhensible si il ne les aime pas? Je ne
suis pas le premier à me poser la question, et personne n'a la
réponse. A part celle d'y aller franco, droit au but. Mais, ça,
j'ai encore du mal.