jeudi 16 décembre 2010

Art, Anonymat, Banksy, Basquiat et Houellebecq



Récemment, trois évènements m'ont fait un peu plus réfléchir sur l'anonymat(dont j'avais déjà parlé ici), l'art, et le désir de faire passer des messages, des ressentis, comme on peut en lire sur tous nos blogs. Je vais donc aujourd'hui faire mon "cultureux". Car tout ça me pose question, sachant que je suis aussi très amateur d'Art et de Culture.

D'abord, Houellebecq, que je n'avais jamais lu, jusqu'à ce qu'on m'offre son dernier bouquin qui depuis, a reçu le Goncourt (je n'y suis pour rien d'ailleurs...). J'ai dévoré les deux premières parties du livre , où est très bien décrit la montée en puissance, en notoriété et en finance aussi d'un artiste, qui apparemment , ne fait pas des choses extraordinaires, si ce n'est qu'il exploite bien ses concepts artistiques, et qu'il est introduit comme il faut dans les milieux d'argent, qui ont les moyens de faire la pluie et le beau temps dans ce domaine. Intéressant, mais rien de révolutionnaire non plus. En revanche, la troisième partie m'a ennuyé, alors qu'elle aurait pu être celle du suspens, du thriller....Globalement, en refermant le livre, je me suis dit : "tout ça pour ça", sachant en plus que je ne trouve pas le style et la qualité d'écriture de l'auteur extraordinaire. Et si je ne suis qu'un petit blogger, je me permets quand même de juger, et d'estimer que l'auteur est sans doute aussi victime du système qu'il dénonce: on a du succès , à partir du moment où on est recherché pour la valeur financière de ses oeuvres, et non pour leurs qualités hautement artistiques (c'est un vieux débat me direz-vous).

Ensuite, une de mes escapades parisiennes m'a permis d'aller voir l'exposition Basquiat au Palais de Tokyo, musée d'art moderne de la ville de Paris (dont l'entrée aux collections permanentes est gratuite d'ailleurs, et c'est magnifique...). Basquiat, il faut faire la queue une demi-heure, les billets sur internet sont pris d'assaut si vous ne réservez pas 5 ou 6 jours en avance, mais ce serait un "must" à voir , selon les uns et les autres...Je connaissais un peu, mais pas beaucoup. Je dois lui reconnaître un style spécifique, une énergie extrême , parfois violente, des assemblages de couleurs vivants et forts...Ca m'a plu. Les personnes avec qui j'étais étaient plus sceptiques: ces dessins, ces oeuvres sont-elles véritablement des oeuvres d'art? certaines sont proches du dessin d'enfants, immatures, et leur "spontanéité" qui en fait leur qualité, justifie-t-elle une exposition pareille? des prix aussi exorbitants pour ces oeuvres dans les ventes aux enchères? on apprend que Basquiat était un protégé de Andy Warhol, certaines toiles sont faites en commun. Est-ce la proximité de Warhol, passé maître en "marketing" de l'art (mais là, je reconnais beaucoup de talent à celui-là, et à sa vision de notre société moderne de consommation, et de désir de célébrité) qui fait que aujourd'hui, Basquiat , mort prématurément, atteint des côtes incroyables?

Enfin, je lis dans le Monde en fin de semaine, et dans Télérama cette semaine des articles sur le documentaire concernant Banksy, graffeur "street-artiste" de grand talent de Bristol, dont un film le concernant vient de sortir sur les écrans ("Faites le Mur" , en anglais "Exit through the gift shop"). Je n'ai pas vu le film, mais je suis(de suivre) un peu cet inclassable depuis quelques temps, sur le net. Ce type produit sur les murs de sa ville, mais aussi sur le mur d'Israël (côté Palestine, je pense) et sur pleins d'autres , des oeuvres d'art, avec du sens, du talent, et aussi un grand sens de l'humour...Il arrive à exposer dans des musées, dans des expos organisés par les musées et montées par lui, ou bien de façon inattendue et "surprise (il vient accrocher ses tableaux à côté de ceux des grands maîtres), mais ne se fait pas payer, ne réclame pas de droits d'auteurs, laisse ses oeuvres en accès libre. Il devient une célébrité, mais garde apparemment sa simplicité.

Et puis , il écrit ceci: " les gens qui vous connaissent bien prêtent rarement attention à ce que vous dîtes; en revanche, ils prennent souvent pour paroles d'évangile ce que raconte un inconnu dans un livre ou une chanson. Donc , si on a quelque chose à dire et qu'on veut être écouté, il faut porter un masque! Pour rester honnête, il faut parfois vivre dans le mensonge".

Moi, tout ça, ça m'interpelle. Il me semble clairement un représentant de nouvelles tendances des années à venir, celles de la coopération, ou de la collaboration où l'argent n'est plus le maître (mais reste encore là quand même, il faut bien vivre, et Bansky vend des toiles à des stars , je suppose , très chers), et où la recherche du plaisir à plusieurs, le souhait de satisfaire un plus grand nombre en jouant sur des ressorts humoristiques et surtout humains sont au centre des travaux. Peut-on d'ailleurs parler de travail, quand on a l'impression que cet homme s'amuse d'abord, et prend beaucoup de plaisir à railler ses pairs académiques et souvent à faire mieux qu'eux?

Et vous, blogguers, qui écrivez sans recevoir de droits d'auteurs, n'êtes-vous pas dans ce même état d'esprit? ne vous faîtes-vous pas plaisir d'abord, en tenant votre blog, afin de faire plaisir à vos lecteurs, que vous ne connaissez souvent même pas en direct? Moi, j'aime bien cet état d'esprit, et je me dis que, en ces temps de crise où la reine-consommation vacille sur son trône, les notions du plaisir partagé et d'humour pour tous, sans transaction financière obligatoire, vont faire un coup d'éclat, puis un coup d'état.

Quant à l'anonymat de l'artiste, cela aussi m'interpelle. Nous sommes presque tous des bloggers anonymes, couverts par des pseudos. J'en avais déjà parlé sur ce blog. L'anonymat, ou plutôt la liberté de rester anonyme ou non, est peut-être aussi gage de créativité facilitée, et reste indispensable sur le net.

8 commentaires:

  1. Très intéressant ce billet. Je n'ai rien lu de Houellebecq mais j'ai vu l'expo Basquiat: comme toi je ne connaissais que superficiellement et je suis ressorti de cette expo en ayant vu l'oeuvre d'un artiste (même si tout ne se vaut pas en effet). Quant au dernier point, je ne partage pas ton optimisme (bien que j'adore aussi prendre du plaisir à plusieurs) sur le désintéressement, le partage etc. Je crois que l'égoïsme, le repli sur soi, la recherche du profit ont encore de beaux jours devant eux...

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  2. La satisfaction de l'artiste est avant tout, je pense, de voir son art apprécié. Je ne pense pas que l'on crée uniquement pour soi. Il me semble qu'une création, quelle qu'elle soit, à pour but d'être partagée. Une création est une forme d'expression et s'exprimer par ou avec soi-même n'a pas grand sens. Au delà de cette aspect purement affectif, il y a l'argent qui se pose comme une façon de dire "oui on aime ce que tu fais" et qui, surtout, permet de nourrir son homme quand on décide d'essayer de vivre de son art. L'art, bien qu'hautement spirituel et expression de l'intellignece et de la sensibilité, a toujours eu une valeur marchande alors que ce sont des "biens" immatériels. On peut le regretter car, comme tu le dis si bien, ce n'est pas parcequ'on vaut de l'argent que l'on a du talent ; et l'inverse est vrai aussi.

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  3. @l'ane aux nimes: bienvenu ici, même sous ta forme anonyme....je reste optimiste, mais rien n'est gagné..je veux bien croire Edgar morin que ces multiples initiatives isolées vont finir par faire bouger les choses..mais l faut les encourager, les faire connaitre, et ne pas perdre espoir...mais par moments, j'ai la même vision que toi sur l'égoïsme général, et désespère un peu...
    @EK91: tout à fait OK avec toi...on crée pour soi, et pour aussi être apprécié...et pour partager...la question de l'argent n'est pas anodine, elle est présente pour tout artiste qui a un peu de talent, et Banksy joue avec , je pense...mais j'aime bien sa façon de le faire, qui ne me semble pas dans une logique "fric pour le fric"....

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  4. Petit coucou chez toi Arthur !
    Tu sais, au début je ne savais pas pourquoi j'avais ouvert mon blog :) Surement pour moi, peut-être un peu pour me prouver quelque chose, pour m'apporter une certaine confiance en moi que je n'avais pas du tout au début !
    Aujourd'hui c'est différent, je pense au partage, aux rencontres via blog, à ces petits messages que l'on laisse comme un petit poucet, des gens aux quatre coins de la France et même de beaucoup plus loin !
    J'ai appris beaucoup, et je continue !
    On peut être aussi déçu quelques fois et cela m'est arrivée... J'ai même failli tout arrêter à causes d'imbéciles :)
    Et puis d'autres petites contrariétés lorsque tu retrouves sur des blogs, tes textes et tes photos, signés par d'autres auteurs :( beaucoup n'ont pas d'imagination, alors ils pillent !
    Je t'avais rencontré avec Mozart et tu finis l'année avec Houllebeck et Bansky, c'est pas mal :) :)
    Je t'embrasse bien fort et je te souhaite une belle fin d'année ainsi qu'à tes proches !
    Joyeux Noël !!!

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  5. @virginie: merci à toi Virginie...Bonne année à toi également, et joyeux noel à toi et ta famille, tes amours et ceux que tu aimes...
    N'arrete surtout pas tes blogs, si rafraichissants, si gaie , si "différents"...j'adore, même si en ce moment , je prends peu de temps à les lire, et encore moins à commenter...En espérant qu'en 2011 on puisse enfin faire connaissance!

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  6. Bonjour Arthur,
    C'est ma première visite sur ce blog que j'ai découvert via un commentaire que tu as fais sur le blog de Matoo à propos de Murakami.
    Ton article est très intéressant. Je ne suis pas un défenseur de Houellebecq et je suis tout à fait d'accord avec toi sur la troisième partie, en mode Colombo, est assez chiante et moins percutante. J'aime le style de Houellebecq pour plusieurs raisons dont le fait qu'il ne cherche pas à faire dans "un style amphigourique avec des circonvolutions syntaxiques" comme dirait Luc Chatel. Le fond est extrêment intéressant et va droit au but avec un style fluide et plus que compréhensible. Je ne suis pas d'accord avec toi quand tu dis que Jed Martin n'a pas un art extraordinaire parce que l'art ne l'est jamais enfin de compte, seul le ressenti de celui qui le fait et de celui qui le vit peut le dire. C'est justement là toute la subjectivité de l'art. Justement Bansky m'énerve pour ça, c'est un créateur de buzz avec son faux anonymat pour faire parler de lui. Un mec qui demande entre 250 000 et 1 2000 000€ pour une installation street est un business man plus qu'un artiste alors ok c'est "subversif', c'était un guérilleros mais pour un homme qui se dit anti capitaliste, sa côte est loin d'être dégueulasse. Je préfère JR que je trouve plus percutant avec un vrai message et un sentiment plus fort que des coups de buzz en marketing viral.
    On blog pour appartenir à une communauté aussi, trouver des personnes avec les mêmes goûts, les mêmes influences, le même amour d'un certain art. On blog pour partager aussi et aussi pour s'exprimer à couvert d'une identité virtuelle (je sais de quoi je parle).
    L'art anonyme est dangereux car c'est permettre à n'importe qui de se l'attribuer et quelque part perdre une partie de soi qu'on a voulut donner au monde. L'argent dans l'art doit exister mais il est compliqué et parfois injuste. Aujourd'hui sans buzz, pas d'argent, pas de reconnaissance même quand on a pas de talent. Malgré ses pitreries, Rémi Gaillard a raison : "C'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui". L'essentiel est de faire quelque chose et de vouloir le défendre.
    Désolé de m'être autant étendu mais c'est un sujet que j'adore. J'ai condensé sinon...
    Bonne année en tout cas.
    Cordialement

    Dicky le Canard

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  7. Bonsoir Arthur,

    C'est ma première visite sur ton blog, je l'ai découvert via un commentaire que tu as fais chez Matoo à propos d'un roman de Murakami.
    Je viens de lire ton article et je dois reconnaître que c'est un sujet plus qu'intéressant mais sans fin et ton analyse m'a passionné. Je te rassure, je ne suis pas un défenseur de Houellebecq farouche et je suis d'ailleurs tout à fait d'accord avec ta critique de la carte et le territoire, la troisième partie ambiance Colombo tombe comme un cheveu sur la soupe mais contient des passages très intéressants comme le voyage en Suisse. Houellebecq n'a pas un style d'écriture flamboyant dans ce dernier mais la complexité du fond expliqué avec une écriture aussi fluide et active, je trouve ça brillant. Un roman sur l'art, sur ces implications idéologiques, son business sans que se soit chiants et démonstratif ? Je dis chapeau. C'est vrai qu'il n'a pas refusant "un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur" comme dirait Luc Chatel. Je ne suis pas d'accord avec le fait de dire que Jed Martin n'a pas un style exceptionnel. Ce n'est pas parce qu'il part de photos manufacturées sans vie pour passer à des cartes modifiées sur photoshop que son style est simple. C'est toute la question de l'art justement, c'est principalement le sentiment qu'il offre, la vision du monde proposé par l'artiste qui donne sa profondeur et son importance au style. Après la portée financière est tout autre surtout dans une époque comme la notre... Je dis ça justement par rapport à Banksy qui se la joue guérilleros du marché de l'art, anti-capitaliste pro copyleft et compagnie et qui à coté vend son art trop controversiste entre 250 000 et 1 200 000€ pour une oeuvre. Alors oui il est anonyme mais après tout ne ferait-il pas ça pour le buzz, comme son coup au Tate et ainsi de suite, c'est pas quelque part de la pub détourné pour alimenter un marketing virale via le net ? Je trouve que JR a un message plus fort et en adéquation avec la rue... peut être une question de sensibilité. JR est allégrement payé mais ses installations coutent très chers à mettre en place donc bon...

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  8. @ troisième patte : Cher Dicksy le canard: bienvenu sur ce blog et merci de tes deux commentaires, proches, mais différents, et en tous les cas argumentés. Je suis content d'avoir pu provoqué ce discours!! Tu n'as sans doute pas tort sur BAnksy, qui sait finalement se vendre. MAis , quelque part, n'utilise-t-il pas les mécanismes du marché de l'art pour les détourner? S'il vend très cher, cela ne lui permet-l pas non plus d'avoir les moyens d'aler plus loi dans la dénonciatio de ce monde de l'art un peu artificiel? car je pense qu'il n'est pas seul, et qu'il a une équipe avec lui. Et come tu le dis, il ne doit pas être si anonyme que ça puisque à Bristol aparemment tout so quartier le connait, mais respecte sa volonté d'anonymat. Après, je n'ai pas d'avis tranché.
    C'est vrai que JR est aussi très intéressant, que j'adore ce qu'il a fait en Palestine notamment (les trois portraits de juif, musulman et chrétien, avec leurs grands yeux), et qu'il a peut-etre une démarche moins "marketing". Je vais me renseigner u peu plus.

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